Résumé

Ce second numéro de Pratiques de la communication réunit huit contributions qui entendent éclairer les enjeux de la formation aux compétences rédactionnelles, en interrogeant les origines des difficultés des étudiants et en proposant des approches pédagogiques qui dépassent la simple remédiation. Comment amener les étudiants à s’investir dans le processus d’écriture ? Telle est la question centrale de ce numéro. Qu’il s’agisse d’écriture journalistique (partie 1), créative (partie 2) ou (pré)professionnelle (partie 3), tout l’enjeu réside pour les enseignants dans la mise en place d’activités qui permettent aux apprenants de s’approprier la pratique de l’écrit : d’abord pour qu’ils soient en mesure d’adapter leurs textes aux différentes situations de communication, mais plus largement, pour qu’ils se conçoivent comme des sujets autonomes et éclairés, quelle que soit l’activité rédactionnelle à réaliser.

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Ce second numéro de Pratiques de la communication réunit huit contributions qui entendent éclairer les enjeux de la formation aux compétences rédactionnelles, en interrogeant les origines des difficultés des étudiants et en proposant des approches pédagogiques qui dépassent la simple remédiation. Comment amener les étudiants à s’investir dans le processus d’écriture ? Telle est la question centrale de ce numéro. Qu’il s’agisse d’écriture journalistique (partie 1), créative (partie 2) ou (pré)professionnelle (partie 3), tout l’enjeu réside pour les enseignants dans la mise en place d’activités qui permettent aux apprenants de s’approprier la pratique de l’écrit : d’abord pour qu’ils soient en mesure d’adapter leurs textes aux différentes situations de communication, mais plus largement, pour qu’ils se conçoivent comme des sujets autonomes et éclairés, quelle que soit l’activité rédactionnelle à réaliser.

Cadrage théorique

Cette réflexion de fond représente le terrain d’investigation de Jacqueline Lafont-Terranova (1999, 2007, 2009, 2013, 2014a, 2014b, 2018, 2019, 2020), spécialiste de la didactique de l’écrit et des littéracies universitaires. Pour notre numéro 2, elle prolonge ses réflexions dans un article inédit : « Un atelier d’écriture créative à l’IUT pour se construire comme sujet-écrivant : approche génétique textuelle ». Partant du constat que les étudiants se considèrent souvent comme peu compétents dans le domaine de l’écrit, elle a conçu des ateliers d’écriture dans l’objectif d’une « réassurance » dans la compétence scripturale, par le truchement de l’écriture créative et réflexive : les étudiants sont amenés, par la constitution d’un dossier regroupant les différentes étapes de création de leur texte, à verbaliser leur processus d’écriture. Jacqueline Lafont-Terranova a exploité ces dossiers, ainsi que des bilans anonymes, pour montrer comment les étudiants se constituent progressivement, dans cette dialectique création-réflexion, comme « sujets-scripteurs ». Ses conclusions apportent de précieuses informations qui permettent un cadrage théorique essentiel. Elle a par ailleurs récemment co-dirigé, avec Maurice Niwese et Martine Jaubert, Écrire et faire écrire dans l’enseignement postobligatoire. Enjeux, modèles et pratiques innovantes, un ouvrage particulièrement complet dont on trouvera une recension à la fin de ce volume.

Pratiques de l’écriture journalistique

C’est dans cette perspective de « réassurance » que Margot Demarbaix a conçu son projet, qu’elle détaille dans « Pratique d’écriture journalistique et découverte de l’autre : le portrait-rencontre selon Libération ». Elle y analyse l’activité qu’elle a menée en 2e année de DUT : réaliser le portrait d’un camarade, en adoptant la démarche de collecte de données, de synthèse et de rédaction d’un journaliste. Aussi l’apport de cette forme de pastiche est-il double : l’étudiant est un rédacteur qui doit prêter attention à l’autre, synthétiser et reformuler ses propos, mais il est aussi l’interviewé, et doit à ce titre mettre en perspective sa présentation publique. Combinant la mise en pratique de compétences rédactionnelles et de compétences relationnelles, l’exercice conduit les étudiants à s’engager personnellement dans l’activité d’écriture et, dépassant leur potentielle « insécurité scripturale » (Dabène, 1987, p. 17), à se construire comme « sujet-écrivant ».

Peggy Raffy-Hideux a également conçu un projet d’écriture de type journalistique, en mettant ses étudiants dans la posture de critiques de cinéma, à l’occasion du festival Premiers Plans d’Angers. Dans « La rédaction de critiques de cinéma à l’IUT : renforcer les capacités d’analyse et les compétences rédactionnelles des étudiants », l’enseignante souligne que ce type d’écrit « combine des dimensions essentielles de l’expression et de la communication – écriture, information, culture, analyse, constitution et expression d’une pensée argumentée ». Mettant particulièrement l’accent sur le travail de « l’avant-texte » (Bellemin-Noël, 1972), le projet amène les apprentis critiques à réviser collectivement leurs productions individuelles et, les extrayant d’une forme de solitude dans l’écriture, à mieux appréhender les différentes étapes qui conduisent au texte final.

Dans les deux bilans que dressent Margot Demarbaix et Peggy Raffy-Hideux de leur projet, qui n’éludent pas les réticences et les difficultés des étudiants pour le mener à bien, apparaît une même prise de conscience chez les apprenants : celle de l’importance de la prise en compte de l’autre – récepteur connu (l’interviewé) ou anonyme (le lecteur d’une critique de cinéma) – dans tout processus d’écriture.

Pratiques d’écriture créative

Devenir sujet-écrivant est un travail qui se construit par une pratique de l’écrit que les ateliers d’écriture créative permettent également de travailler. Aurélie Guitton, dans « Écriture créative et continuum scriptural : la question de l’investissement du sujet dans l’écriture », se propose d’analyser « la continuité entre la pratique de l’écriture créative et les attendus des écrits professionnels en formation », à partir de la notion de « continuum » introduite par Michel Dabène (1991). S’appuyant sur de nombreux travaux académiques et sur son propre travail de thèse (Guitton-Clémenson, 2011), elle analyse les procédés de « didactisation de l’écriture créative » par le prisme de l’investissement énonciatif du scripteur : partant du constat, également dressé par Jacqueline Lafont-Terranova, que les étudiants ont souvent développé une « identité énonciative négative », Aurélie Guitton a mis en place un dispositif qui les conduit à transposer les choix énonciatifs opérés en atelier d’écriture créative dans la rédaction de textes plus contraints (scolaires ou professionnels).

Bien qu’abordée sous un autre angle, la notion de continuité est aussi centrale dans le travail de Maud Giffard et Cindy De Amaral (« Développer les compétences rédactionnelles à l’IUT : expérimentation d’un dispositif hybride avec des étudiants issus de baccalauréat professionnel »). Leur projet s’inscrit dans un dispositif visant à intégrer en IUT des bacheliers professionnels, dont la formation ne prépare que très peu aux littéracies universitaires. Elles ont ainsi conçu un projet visant à mettre en continuité des séances de travail sur la langue et des séances d’écriture créative, où les étudiants rédigent, au cours de l’année, quatre textes de genres différents, en produisant trois jets de chaque texte. Comme l’expliquent les autrices, « cette variété des genres produits répondait à [leur] objectif de travailler l’écrit professionnel (notamment la lettre de motivation) ainsi que l’ensemble des compétences rédactionnelles des étudiants ». En élaborant le texte par jets successifs, le dispositif s’inscrit dans la même perspective de génétique du texte que Jacqueline Lafont-Terranova théorise dans son article.

Les deux contributions mettent ainsi en lumière les processus de transferts de la compétence scripturale de l’écriture créative vers les écrits (pré)professionnels. Il s’agit là d’une question centrale pour les enseignants chargés de préparer l’insertion des étudiants dans le monde du travail : la réassurance dans l’écriture vise également à faire en sorte que les futurs professionnels abordent les écrits en entreprise avec aisance.

Vers les écrits professionnels

C’est en ce sens que Marie-Christine Desmaret-Bastien a conçu son projet de formation à la rédaction de rapport. Dans « La méthodologie du rapport comme mise en œuvre d’une démarche de résolution de problème », elle construit un cheminement vers la rédaction du rapport, envisagé comme un problème à résoudre. Cette démarche progresse en trois temps : un temps de questionnement (heuristique), un temps de mise en place de stratégies de résolution de problème (éristique) et un temps de bilan, d’analyse critique et de résolution de problème (herméneutique). Ce processus met ainsi les étudiants dans une situation professionnelle de conduite de projet et les amène à envisager méthodiquement la construction du rapport, qui devient « un support de réflexion ».

Les attentes des professionnels concernant l’écrit ne sont néanmoins pas toujours explicites. C’est pourquoi le travail mené par Pascal Plouchard s’avère fondamental pour les enseignants d’IUT ou de toute autre formation professionnalisante. Son « Enquête sur les pratiques d'écriture en stage de DUT et sur les compétences à produire des écrits professionnels » s’appuie sur les réponses de 54 maîtres de stage de DUT à un questionnaire diffusé en 2018. Il s’agit ici, d’une part, de mieux cerner les attentes des professionnels en termes de compétences rédactionnelles, et d’autre part, d’évaluer la participation des maîtres de stage au processus de rédaction du rapport.

En mettant en lumière les difficultés identifiées par les tuteurs en entreprise, cette enquête conforte la nécessité d’un dialogue constant avec les professionnels. Si les contributions de ce numéro offrent des pistes pour accompagner les étudiants dans l’appropriation de l’écriture, c’est pour ensuite passer la main aux encadrants en entreprise. Cette liaison nécessite, pour toutes les parties – enseignant, étudiant, professionnel –, de l’écoute, du dialogue et du temps : le temps de cheminer dans son processus d’écriture pour l’étudiant, le temps d’accompagner l’étudiant dans ce cheminement pour l’enseignant, le temps de former aux contextes spécifiques à l’entreprise pour le professionnel. C’est sans doute la principale difficulté que nous rencontrons tous, à une époque qui survalorise la rapidité.

Bibliographie

  • Bellemin-Noël, Jean (1972). Le texte et l’avant-texte, Paris : Larousse.
  • Dabène, Michel (1987). L’adulte et l’écriture. Contribution à une didactique de l’écrit en langue maternelle, Bruxelles : De Boeck.
  • Dabène, Michel (1991). La notion d’écrit ou le continuum scriptural. Le Français Aujourd’hui. n° 93, p. 25-35.
  • Guitton-Clémenson, Aurélie (2011). Apprendre à écrire des textes qui suscitent des émotions : vers un investissement énonciatif et subjectif. Thèse de doctorat en Sciences du langage, mention Didactique du français. Université Grenoble 3.
  • Lafont, Jacqueline (1999). Pour une ethnolinguistique des ateliers d’écriture. Analyse de pratiques sur plusieurs terrains. Thèse de doctorat en Linguistique. Université de Tours.
  • Lafont-Terranova, Jacqueline. (2019). Des ateliers d’écriture pour de futurs informaticiens : de la réassurance à la réflexivité, in Niwese, Maurice, Lafont-Terranova, Jacqueline et Jaubert, Martine (dir.), Écrire et faire écrire dans l’enseignement postobligatoire. Enjeux, modèles et pratiques innovantes. Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, p. 269-285.
  • Lafont-Terranova, Jacqueline (2007). Un atelier d’écriture créative dans l’enseignement supérieur technologique : analyse d’une expérience. Caractères, n°25, p. 4-9.
  • Lafont-Terranova, Jacqueline (2009). Se construire à l'école, comme sujet-écrivant : l'apport des ateliers d'écriture. Namur : Presses universitaires de Namur.
  • Lafont-Terranova, Jacqueline (2013). Atelier d’écriture-réécriture et génétique textuelle : le scripteur face à son texte, in Houdart-Merot, Violaine et Mongenot, Christine (dir.), Pratiques d’écritures littéraires à l’université. Paris : Champion, p. 341-357).
  • Lafont-Terranova, Jacqueline (2014a). Des ateliers d'écriture en expression-communication : quels ateliers, pour quels effets ?, in Nouailler, Mathilde (dir.), L’enseignement de l’Expression-Communication dans les IUT. Fondements théorique, représentations, réalités. Paris : Éditions L’Harmattan, p. 117-132.
  • Lafont-Terranova, Jacqueline (2014b). La construction du sujet-écrivant : approches linguistiques et didactique. Dossier d’habilitation à Diriger des Recherches, Vol. 1. Université d’Orléans. URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-02094612
  • Lafont-Terranova, Jacqueline (2018). Deux ateliers d’écriture créative à l’université pour « réfléchir » l’écriture de manière singulière. Recherches en Didactiques, n°26, p. 9-24. URL : https://www.cairn.info/revue-recherches-en-didactiques-2018-2-page-9.htm#
  • Lafont-Terranova, Jacqueline (2020). Proposer des « pistes d’écriture » d’inspiration oulipienne dans une filière technologique : du jeu à la construction du sujet-écrivant, in De Bary, Cécile (dir.), Les Ateliers d’écriture et l’Oulipo. Paris : Hermann, p. 157-173.

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Un atelier d’écriture créative à l’IUT pour se construire comme sujet-écrivant

Jacqueline Lafont-Terranova

L’expérimentation présentée dans cet article a été mise en place en 1998 au département informatique de l’IUT d’Orléans, dans le cadre de l’enseignement d’expression-communication (EC) dont j’étais responsable. Articulée autour d’un atelier d’écriture créative, elle a impliqué une quizaine d’intervenants et concerné plus de 2000 étudiants depuis ses débuts. L’objectif de développer des compétences transférables dans les écrits de spécialité et (pré)professionnels supposait de proposer « aux étudiants un espace-temps d’écriture privilégié qui favorise la prise de conscience de leurs atouts...

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