N°2 / De l’écriture créative aux écrits professionnels : comment développer les compétences rédactionnelles des étudiants ?

Développer les compétences rédactionnelles à l’IUT : expérimentation d’un dispositif hybride avec des étudiants issus de baccalauréat professionnel

Cindy De Amaral, Maud Giffard

Résumé

Dans le cadre du cours d’expression-communication, il est fréquent que l’on cherche à améliorer l’expression écrite des étudiants. L’utilisation de la plateforme d’entraînement orthographique « Projet Voltaire », en e-learning, n’ayant pas toujours donné des résultats satisfaisants, nous sommes deux enseignantes de l’IUT 1 de Grenoble à avoir tenté de créer un nouveau dispositif en 2017-18, pour améliorer les compétences rédactionnelles de nos étudiants. L’objectif était de créer un dispositif plus complet, qui permette de travailler toutes les compétences linguistiques (et pas seulement la compétence orthographique), en incluant régulièrement de la production écrite. Nous décrirons ici ce dispositif et en commenterons les résultats.

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Dans le cadre du cours d’expression-communication, il est fréquent que l’on cherche à améliorer l’expression écrite des étudiants. L’utilisation de la plateforme d’entraînement orthographique « Projet Voltaire », en e-learning, n’ayant pas toujours donné des résultats satisfaisants[1], nous sommes deux enseignantes de l’IUT1 de Grenoble à avoir tenté de créer un nouveau dispositif en 2017-18, pour améliorer les compétences rédactionnelles de nos étudiants. L’objectif était de créer un dispositif plus complet, qui permette de travailler toutes les compétences linguistiques (et pas seulement la compétence orthographique), en incluant régulièrement de la production écrite. Nous décrirons ici ce dispositif et en commenterons les résultats.

Notre public : des bacheliers professionnels en 1e année de DUT

Les 23 étudiants qui ont participé à notre dispositif en 2017-18 étaient inscrits en DUT Génie Civil – Construction Durable à l’ÉNEPS[2], une structure particulière intégrée à l’IUT1 de Grenoble. Comme la plupart des IUT, l’IUT1 de Grenoble accueille traditionnellement des bacheliers scientifiques et technologiques. L’ÉNEPS est une structure qui permet d’accueillir et d’accompagner un groupe de bons bacheliers professionnels[3] dans quatre des huit filières de l’IUT1.

L’objectif de l’ÉNEPS, alors que le BTS est la poursuite d’études habituelle après un baccalauréat professionnel, est donc d’accompagner ces étudiants pendant leur DUT et de les mettre en situation de réussite. L’ÉNEPS a été labellisée IDEFI[4] et, à ce titre, cherche à développer l’innovation pédagogique pour remédier aux difficultés de ses étudiants. C’est dans cette perspective qu’elle a noué un partenariat avec le LIDILEM[5], un laboratoire de Sciences du Langage de l’université Grenoble Alpes. Ce partenariat nous a permis de constituer un binôme de deux enseignantes, l’une PRAG de lettres modernes et l’autre doctorante en Sciences du Langage, et ainsi de mettre à profit nos compétences et expériences respectives.

Nos étudiants n’étaient pas en échec scolaire à proprement parler puisqu’ils ont presque tous eu une mention au baccalauréat. Contrairement à d’autres filières de baccalauréat professionnel, notamment les filières tertiaires, leur orientation au lycée et surtout à l’ÉNEPS a été choisie. Tous ces éléments constituent des leviers intéressants en termes de motivation et de confiance en soi.

Des besoins spécifiques

On retrouve pourtant chez ces étudiants des difficultés à l’écrit bien identifiées par les recherches sur le public de baccalauréat professionnel : une image stigmatisée du lycée professionnel[6] qui influe négativement sur l’image que les étudiants ont d’eux-mêmes et de leurs compétences (Jellab, 2008), une culture familiale parfois éloignée de la culture scolaire (Charlot, 1999 ; Lahire, 2012), un sentiment « d’insécurité scripturale » (Dabène, 1991), souvent lié à un sentiment d’incompétence dans le domaine linguistique (Guernier et al., 2017) et plus particulièrement sur les aspects orthographiques. Ces étudiants entretiennent souvent un rapport difficile à l’écrit, notamment parce qu’ils ont des difficultés à intérioriser une certaine pratique/culture de l’écrit attendue par l’école (Lahire, 2008), qui nécessite de faire preuve d’une grande réflexivité vis-à-vis de la langue et des écrits. Cette distance réflexive, qui participe d’un certain rapport à l’écrit, semble parfois faire défaut aux élèves les plus en difficultés sur le plan linguistique (Brissaud & Bessonnat, 2001). Plusieurs étudiants parmi notre public d’ÉNEPS sont diagnostiqués dyslexiques ou n’ont pas été testés alors que cela avait été recommandé à un moment de leur parcours scolaire.

Notre dispositif

Le dispositif pédagogique que nous avons testé s’inscrit dans une approche que l’on souhaite complète de la « compétence scripturale » des étudiants, telle que la définit Dabène (1991), en tenant compte à la fois des aspects techniques du savoir-écrire et du rapport à l’écrit des sujets.

Objectifs et principes d’une approche intégrée

Ce dispositif devait donc répondre simultanément à différents objectifs. Il s’agissait d’abord de permettre aux étudiants d’améliorer globalement leurs productions écrites. Pour ce faire, les activités proposées devaient mobiliser l’ensemble des compétences linguistiques : orthographe, ponctuation, syntaxe… mais aussi les compétences discursives des étudiants. Des travaux sur les compétences rédactionnelles des élèves de LP ont en effet mis en avant, au-delà des difficultés grammaticales et orthographiques bien perçues par les enseignants (Guernier, 2008), des difficultés particulières de ce public dans des domaines de compétences directement liés à la construction de textes. Certains élèves de LP semblent éprouver de la difficulté tant à percevoir la ponctuation, la mise en paragraphe et les éléments de cohésion textuelle comme des éléments nécessaires à l’écrit (De Amaral, 2019 ; De Amaral, à paraitre), qu’à mettre en œuvre ces compétences dans leurs productions (Jacques & De Amaral, 2018). Il s’agissait donc de proposer une approche pédagogique qui puisse agir simultanément sur des aspects techniques, comme la grammaire et les compétences discursives des étudiants, et sur leurs représentations de l’écrit.

C’est pour répondre à ces objectifs multiples que nous avons choisi d’opter pour une approche dite « intégrée » (Marin et al., 2015) de la compétence scripturale, qui combine le travail sur la langue et la production écrite. En effet, cette approche repose sur le principe selon lequel les apprenants donnent plus de sens aux activités linguistiques si elles sont intégrées à un travail de production écrite car, confrontés à de réels problèmes d’écriture, ils comprennent l’intérêt du travail sur la langue.

Travail de la langue

Nous avons choisi de travailler la grammaire de manière inductive, approche qui permet aux apprenants de découvrir et de formuler eux-mêmes les règles de grammaire après une phase d’observation et d’analyse. L’objectif était de proposer une démarche pédagogique qui se démarque de la grammaire traditionnelle, dont les élèves de LP gardent généralement un mauvais souvenir, mais surtout de leur permettre de raisonner sur la langue, par des manipulations diverses, avant d’employer du métalangage faisant parfois écran à la compréhension. On sait en effet que le raisonnement grammatical est particulièrement difficile à acquérir pour certains élèves jusqu’à la fin du collège et que le métalangage peut-être parfois mal intériorisé ou employé de manière inefficiente (Le Levier et al., 2018).

C’est dans cette perspective que nous avons opté pour la « grammaire en couleurs » de Maurice Laurent ([2004] 2014). Cette approche de la grammaire permet un travail collectif et simultané du groupe classe, mais aussi un enseignement adapté à chacun. Pendant le temps de découverte et de manipulation des phénomènes de langue, cette approche présente l’avantage d’éviter la terminologie grammaticale traditionnelle tout en mobilisant à la fois la mémoire visuelle, auditive et kinesthésique. Les outils phares développés par Maurice Laurent sont en effet des tableaux, où des rectangles colorés viennent symboliser les catégories grammaticales. Chaque mot de l’énoncé proposé va alors être pointé par un étudiant (dimension kinesthésique) dans son rectangle de couleur (dimension visuelle) et prononcé en même temps (dimension auditive). Quand l’apprenant se trompe ou hésite, l’enseignant repart d’un énoncé qui a été pointé correctement et intégré, pour opérer un transfert vers une autre forme d’énoncé, ou construire des connaissances plus complexes. Le reste du groupe peut aussi apporter son aide en débattant et en argumentant pour valider des hypothèses, jusqu’à pouvoir élaborer les règles de classification[7].

Figure 1 : Tableau des classes grammaticales de la grammaire en couleurs[8] (Laurent, 2004, p. 39 ; 2015, p. 264)

Au cours de l’année, nous avons effectué 16 heures de TP (en demi-groupe de 11-12 étudiants), essentiellement basées sur l’approche « grammaire en couleurs ». Ces 16 heures de présentiel ont été renforcées par les modules informatisés de « Grammortho » créés pour travailler à distance selon l’approche de la grammaire en couleurs[9]. Le travail sur les modules, effectué à la maison, visait à entrainer les étudiants sur les notions vues en TP, dont les séances étaient souvent très espacées (les 16 heures s’étalant sur 2 semestres).

Grâce à cette double approche, nous avons traité plusieurs points de langue en suivant la progression de Grammortho : l’accord dans le groupe nominal, les catégories de mots, le présent de l’indicatif. Nous avons ajouté des points de langue pour lesquels il n’existait pas encore de modules informatisés – l’accord du participe passé et les homophones – ainsi qu’un travail sur les règles de ponctuation. Ces derniers points ont été ciblés, car ils ont été identifiés par des recherches en orthographe comme des sources d’erreurs fréquentes, mais aussi comme particulièrement stigmatisants sur le plan scolaire et social (Lucci & Millet, 1994). À l’issue de chaque module, nous avons évalué la notion grammaticale abordée à partir d’exercices variés d’orthographe grammaticale.

Travail en production écrite

Ce travail sur la langue était couplé, dans une perspective d’approche intégrée, à un travail de production écrite tuteurée. Les étudiants devaient produire au cours de l’année 4 textes mobilisant des genres différents (narration, description, argumentation). Cette variété des genres produits répondait à notre objectif de travailler l’écrit professionnel (notamment la lettre de motivation) ainsi que l’ensemble des compétences rédactionnelles des étudiants. Ces productions écrites étaient faites à la maison et déposées sur une plateforme en ligne.

Notre objectif était de faire produire 3 jets de chaque texte. Cette approche pédagogique se fondait en effet sur de nombreuses recherches qui montrent que la réécriture participe de la définition même de l’acte d’écrire (Barré-de Miniac, 2001 ; Lafont-Terranova, 2009) et qu’orienter l’apprenant dans sa réécriture, c’est lui donner l’occasion de mieux percevoir ses processus d’écriture et d’épaissir son texte (Bucheton et al., 2014).

Pour chaque version déposée, l’étudiant recevait en retour une version commentée (en suivi des modifications) avec des conseils d’amélioration ciblés en fonction des points de langue vus en classe, sans oublier les aspects plus stylistiques. Il ne s’agissait pas de « corriger » le texte, mais de rappeler à l’étudiant l’outil ou la règle à utiliser pour qu’il parvienne à réviser son texte lui-même. La difficulté est alors de produire à l’écrit, de manière synthétique, un commentaire à la fois précis et utilisable par l’étudiant, notamment en évitant la part de terminologie grammaticale qu’il ne maitrise pas.

Nous avons donc fait produire 12 textes à chacun de nos étudiants. Au-delà de l’amélioration des capacités orthographiques des étudiants et de leur aptitude à rédiger, ce dialogue avec l’enseignant visait également à améliorer leur rapport à l’écrit en les faisant gagner en confiance.

Figure 2 : Extrait d’une des productions écrites tuteurées « histoire de mon tableau » (texte créé à partir de l’œuvre de Salvador Dali, « Jeune fille à la fenêtre »).

Effets du dispositif

L’analyse des résultats obtenus par nos étudiants lors des évaluations, combinée à celle de leurs productions écrites, nous permet d’observer un certain nombre d’effets sur leurs compétences. Nous avons également souhaité recouper ces résultats avec une enquête par questionnaires sur leur perception du dispositif.

Progrès en langue

Toutes les notions grammaticales travaillées en classe ont fait l’objet d’un test sommatif composé d’exercices variés d’orthographe et de classement, parfois en réutilisant le tableau de grammaire en couleurs en version imprimée. Les résultats ont toujours été très satisfaisants, avec une moyenne de 8,2/10 aux tests 1 et 2 et de 8/10 au test 3 (cf. sélection d’exemples en annexe).

Retour des étudiants sur la « grammaire en couleurs » et « GrammOrtho »

En ce qui concerne la plateforme GrammOrtho, les questionnaires remplis par les étudiants montrent qu’ils ont effectivement utilisé cet outil et qu’ils ont apprécié cette possibilité d’entrainement. Les étudiants regrettent cependant que les exercices soient peu progressifs et répétitifs. L’esthétique de l’interface pourrait aussi être améliorée.

De manière assez problématique, les étudiants disent apprécier l’approche de la grammaire en couleurs, mais ne font pas forcément le lien avec les productions écrites tuteurées. Ils ne consultent pas tellement de ressources quand ils écrivent et notamment pas le « cahier de règles » rédigé en classe. Leur réflexivité sur la langue au moment d’écrire se limite donc apparemment à leurs acquis personnels, tout nouveaux ou plus anciens.

Progrès en production écrite

Le dispositif de production écrite tuteurée visait à entretenir avec chaque étudiant un échange personnalisé, d’une version à l’autre de ses textes. L’enjeu était donc, au-delà de la qualité générale des versions 1 et 3 de chaque texte, de permettre une réelle progression entre chaque jet. Afin d’évaluer cette marge de progression, nous avons compté, d’une version sur l’autre de chacune des 4 productions écrites, le nombre de commentaires correspondant à des corrections à effectuer par l’étudiant.

Tableau 1 : nombre moyen de commentaires par production de la P1 à la P4

Ce tableau compare la première et la dernière production écrite des étudiants, chacune ayant été faite en trois jets (V1-V2-V3). Il nous permet de voir que le nombre de remarques, entre la première production de l’année et la dernière, a considérablement diminué, dès le premier jet (V1), mais aussi en version finale (V3).

Le fait que, dès le premier jet, le nombre de corrections à effectuer soit moins important pour le texte 4 que pour le texte 1 laisse à penser que le dispositif a permis d’améliorer la capacité des étudiants à rédiger, seuls, un texte plus conforme aux normes.

On voit également que la proportion de commentaires pris en compte entre la V1 et la V3 augmente pour la quatrième production, ce qui pourrait montrer que, plus on avançait dans le dispositif, plus les étudiants mettaient à profit nos retours. Ces tendances sont encore plus nettes lorsqu’on compare les résultats obtenus en production 1 et 2 à ceux obtenus en production 3 et 4.

Tableau 2 : nombre moyen de commentaires par production (début d’année et fin d’année)

On peut en déduire qu’une forme de « déclic » s’est produit à la suite du second exercice de production écrite, déclic qui a permis aux élèves de bien s’emparer de ce dispositif de production tuteurée.

Évolution du rapport à l’écrit

Étant donné les caractéristiques particulières de notre public, il nous semblait important, au-delà des seules performances rédactionnelles, de viser à une modification du rapport à l’écrit des étudiants. L’idée était, au travers de la grammaire en couleurs comme des échanges avec l’enseignant, d’augmenter leur motivation et d’essayer de réconcilier avec l’écrit ceux qui gardaient un mauvais souvenir des cours de français. Pour chercher à cerner leur rapport à l’écrit, nous avons proposé aux étudiants un brainstorming autour du mot « écrire » lors de la première puis de nouveau lors de la dernière séance de TP. À partir des termes collectés lors de ces deux brainstormings, nous leur avons demandé, à la fin de l’année, de rédiger un texte décrivant leur rapport à l’écrit en deux paragraphes commençant par « avant, écrire pour moi c’était… » et « maintenant, écrire pour moi c’est… ».

Les productions rédigées à partir de cette consigne nous ont permis d’observer plusieurs changements positifs dans la manière dont les étudiants perçoivent les tâches d’écriture. Certains étudiants semblent, à l’issue du dispositif, percevoir davantage de fonctions de l’écrit ; ce qui signifie que leurs représentations de l’écrit ont évolué vers davantage de complexité.

E19

Avant pour moi écrire était souvent lié aux écrivains qui retranscrivaient leur imagination, […]

Pour moi écrire maintenant est une manière d’interagir avec les gens à distance pour discuter par le biais des messages sur le téléphone. De plus, l’écriture est un art qui permet à nos pensées de prendre forme. De défendre ses idées librement sur un sujet. Enfin, je dirai {sic} que le fait d’écrire est comme une technologie, il faut l’améliorer sans cesse… 

Cet extrait de la production de l’étudiant E19 nous montre bien comment sa définition de l’écrit s’est épaissie au fil des séances. On observe le même type d’épaississement chez plusieurs étudiants qui prennent désormais en compte davantage de fonctions de l’écrit, en dehors de la sphère scolaire, comme le montre cet extrait de la production de E14.

Pour moi l’écriture c’était juste s’exprimer, parce que j’écrivais principalement à l’école lorsque je devais recopier ou produire quelque chose. Je n’écrivais que pour transmettre un message, qu’il soit pour moi ou pour quelqu’un d’autre, je ne cherchais pas à être minutieux, je ne me posais aucune question en rédigeant. […]

Maintenant, écrire pour moi c’est important, parce que j’ai pris conscience qu’une bonne communication est primordiale dans la vie active, que ma manière de communiquer avec les autres reflétera une partie de moi-même […] 

Cette évolution des représentations que les étudiants ont de l’écrit s’accompagne souvent d’une prise en considération nouvelle de la relation au destinataire. La plupart des étudiants de notre groupe semblent avoir pris conscience que la communication écrite présuppose un lecteur fictif sur lequel il s’agit de produire des effets. Cette prise en considération d’un aspect proprement littéracique, qui suppose un lien entre le lire et l’écrire, leur permet d’appréhender l’écrit de manière plus positive et de donner plus de sens à l’acte d’écrire et de lire.

E7

Avant écrire pour moi c’était une simple suite de mots ponctuées {sic}, je ne voyais pas plus loin que les mots écris {sic} je ne cherchais pas à lire entre les lignes, ni à comprendre ce que l’auteur cherchait à dire réellement, quelle idée, quel message il essayait de transmettre en employant tels ou tels mots, pour moi cela se résumer à la simple représentation graphique d’une langue.

Maintenant pour moi écrire c’est comprendre ce que l’auteur veut nous raconter, ce qu’il veut nous faire partager. […]

On voit également que certains étudiants tiennent compte de davantage d’aspects de la compétence scripturale dans leur définition de l’écrit à l’issue de cet enseignement ; ce qui laisse penser que l’approche intégrée a permis à certains de se détacher d’une perception de la tâche focalisée sur l’orthographe.

E2

Avant, pour moi écrire c’était ?

Orthographe, ce mot résume assez bien mon rapport avec l’écriture étant plus jeune. Il fallait toujours respecter des règles plus invraisemblables les unes que les autres avec pour seule arme un stylo. Par conséquent, je laissais ce travail aux professionnels, les écrivains […]

Maintenant, pour moi écrire c’est ?

De l’art, oui je sais c’est un sacré changement d’avis, mais ce n’est pas pour autant que les fautes ne sont pas encore une petite source de rejet à mes yeux. Bref, revenons à l’art, si je dois donner une définition un petit peu abstraite du verbe écrire, je dirais que c’est de décrire ce que l’on ne peut pas voir et de laisser place à l’imagination… 

On note qu’E2 avait, comme beaucoup d’étudiants et d’enseignants (Colin, 2014), une définition de l’écrit qui se focalisait exclusivement sur l’orthographe (qui est pourtant une simple opération de surface), au détriment de la recherche d’idées et de la mise en texte. Désormais, il a une vision plus créative de l’écrit. Ce changement de perception a été rendu possible par le fait que cet étudiant, comme d’autres dans le groupe, a pu se détacher de son sentiment d’insécurité lié à un manque de compétence orthographique. Certains étudiants expriment en effet le sentiment d’avoir gagné en compétences linguistiques, ce qui leur a permis de s’investir plus sereinement dans la tâche d’écriture.

E9

Avant, écrire pour moi c’était très dur parce que je n’arrivais pas à bien formuler mes phrases, je ne faisais pas attention à mes fautes d’orthographe. La grammaire me faisait peur. Je n’avais pas d’idées pour rédiger un texte. Je pensais que la langue française était la langue la plus dure de la planète […]

Maintenant, écrire pour moi c’est plus facile qu’avant, car avant d’écrire une phrase j’essaye de bien réfléchir et de bien mettre en place mes ponctuations. Je fais plus attention aux fautes d’orthographe. J’essaye de faire des phrases plus courtes et d’argumenter avec des paragraphes. Je me suis rendu compte qu’on pouvait s’exprimer plus facilement en écrivant. 

Si on voit dans cet extrait qu’E9 a le sentiment qu’écrire est « plus facile » désormais, la plupart des étudiants gardent un fort sentiment de difficulté à l’écrit, sentiment qui ne les empêche pas cependant de s’investir dans la tâche et d’y trouver désormais du plaisir.

E4

Avant, écrire pour moi c’était juste répondre aux questions posées ou bien noter des textes, parce que je ne prenais pas plaisir à cela. C’était comme une tâche. Je n’ai pas été doué pour cela, mon orthographe au quotidien le prouve bien. Je ne trouvais pas cela captivant, car sur les sujets de rédaction la plupart du temps je bloquais ou je n’arrivais pas à trouver de l’inspiration afin de pouvoir rédiger sur le sujet donné […] Je trouvais mes textes ennuyants et pas attrayans {sic}.

Maintenant écrire pour moi c’est raconter, transmettre mes propres idées. C’est verser mes pensées à l’aide de mots sur une feuille ou un document. Même si mon orthographe n’a pas vraiment évolué, dire les choses, s’exprimer est un plaisir parce que bâtir mon texte, le construire en argumentant mes idées me donne du plaisir. De plus lire ce que l’on écrit nous procure une sensation de satisfaction […] Comparé à avant, aujourd’hui j’aime écrire. 

E16

Avant, écrire pour moi était compliqué, parce que je faisais beaucoup de fautes d’orthographe.

Ainsi, apprendre un alphabet composé de vingt six lettres ne fut pas aisé dans mon apprentissage scolaire, et pourtant indispensable à mon avenir. […]

Aujourd’hui, n’ayant jamais abandonné et avec une détermination qui est restée constante, je me sens libre de m’exprimer, de discuter avec les autres, a {sic} travers l’écrit. […] Par ailleurs, j’ai aussi appris à partager mes difficultés et à ne plus en avoir honte. 

On voit bien ici que, même si le dispositif n’a pas forcément permis à E4 et à E16 d’améliorer leurs performances en orthographe, ou même leur sentiment de compétence, il leur a cependant permis de se libérer des sentiments négatifs associés à leurs difficultés orthographiques, sentiments qui freinaient le passage à l’écrit.

On retrouve cette impression de pacification du rapport à l’écrit grâce une dédramatisation des difficultés orthographiques chez E3, pour qui l’orthographe est même devenue un objet de discussion dans la sphère privée, ce qui lui permet d’associer désormais l’écriture à des moments agréables.

E3

Avant, pour moi écrire c’était une manière de s’exprimer que je fuyais. […] En effet, les fautes d’orthographes {sic} me terrifiaient et me faisaient fuir la moindre dictée, le fait de me forcer sans plaisir me décourageait et me retirait toute bonne volonté. […]

Maintenant, écrire pour moi c’est utile ou même parfois un plaisir que je partage […] De plus, je passe des moments avec ma copine qui m’explique pourquoi j’ai faux et qui m’aide à me corriger ce qui rend ces moments plus agréables. Avant de les passer avec elle, ces derniers étaient douloureux et je « subissais mes fautes » alors que maintenant ce sont des moments plus sympathiques. 

Ainsi, le dispositif a permis aux élèves les plus en difficulté de gagner en sécurité linguistique en facilitant le passage à l’écrit, mais il a aussi permis, de manière très différente en fonction de chacun, une reconfiguration des représentations du lire et de l’écrire.

Conclusion

Le dispositif que nous avons choisi de tester dans ces deux groupes d’ÉNEPS visait, par une approche intégrée, à améliorer conjointement l’ensemble des composantes de la compétence scripturale de nos étudiants. Compte tenu du profil particulier de nos étudiants, il nous semblait essentiel que l’enseignement dispensé permette à ces élèves, issus de baccalauréat professionnel, d’acquérir les compétences rédactionnelles nécessaires à leur poursuite d’études ; mais nous souhaitions également leur offrir un enseignement qui permette, dans la mesure du possible, de réconcilier certains d’entre eux avec l’écrit, en modifiant les représentations négatives qu’ils pouvaient en avoir. Notre dispositif ne permet pas forcément, malgré l’aspect intégré que nous mettions en avant, d’établir du lien entre les progrès des étudiants sur les différentes composantes de leur compétence scripturale ; ce qui fait écho aux réactions des étudiants qui ont eu du mal à établir des ponts entre travail de la langue et production écrite tuteurée. Néanmoins, on observe bien des effets positifs de cet enseignement sur la capacité des élèves à produire des textes de qualité, à réduire le nombre d’erreurs orthographiques dans leurs productions, ainsi que sur leur perception de la tâche d’écriture. Ces effets observés nous semblent particulièrement encourageants dans la perspective qui était la nôtre : proposer à des étudiants issus de LP un enseignement de l’écrit adapté qui facilite leur poursuite d’études et leur insertion professionnelle.

Bibliographie

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Charlot, Bernard (1999). Le rapport au savoir en milieu populaire : Une recherche dans les lycées professionnels de banlieue. Paris : Anthropos.

Colin, Didier (2014). Analyse des pratiques d’écriture dans le discours des enseignants : enjeux didactiques : analyse de déclarations d’enseignants de CM2 et de 6ème [Doctorat Nouveau Régime, Université d’Orléans]. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01128847 

Dabène, Michel (1991). Un modèle didactique de la compétence scripturale. Repères, n° 4, p. 9-22.

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De Amaral, C. (à paraître). Représentations de l’écrit chez des élèves et enseignants en lycée professionnel : Une mise en perspective contrastée. Étude de cas conduite sur deux classes des sections gestion-administration. SFERE, Marseille.

Guernier, Marie-Cécile (2008). Discours d’enseignants sur les difficultés avec l’écrit des élèves de lycée professionnel. TransFormations, n° 1, p. 196205.

Guernier, Marie-Cécile, Barré-de Miniac, Christine, Mout, Tiphaine & Brissaud, Catherine (2017). Ces lycéens en difficulté avec l’écrit et avec l’école. Grenoble : UGA Editions. https://www.decitre.fr/livres/ces-lyceens-en-difficulte-avec-l-ecrit-et-avec-l-ecole-9782377470051.html

Jacques, Marie-Paule & De Amaral, Cindy (2018). Explorer les compétences rédactionnelles au lycée professionnel. SHS Web of Conferences, vol. 46. https://doi.org/10.1051/shsconf/20184607008

Jellab, Aziz (2008). Sociologie du lycée professionnel : L’expérience des élèves et des enseignants dans une institution en mutation. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail.

Lafont-Terranova, Jacqueline (2009). Se construire, à l’école, comme sujet-écrivant : L’apport des ateliers d’écriture. Presses Universitaires de Namur.

Lahire, Bernard (2008). La raison scolaire : École et pratiques d’écriture, entre savoir et pouvoir. Presses Universitaires de Rennes.

Lahire, Bernard (2012). Tableaux de familles. Paris : Le Seuil.

Laurent, Maurice [2004] (réédition 2014). Les jeunes La langue La grammaire- Volume 1- Catégories de mots, constituants de la phrase. Paris : UEPD.

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Le Levier, Hélène, Brissaud, Catherine & Huard, Céline (2018). Le raisonnement orthographique chez des élèves de troisième : Analyse d’un corpus d’entretiens métagraphiques. Pratiques. Linguistique, littérature, didactique, p. 177178. https://doi.org/10.4000/pratiques.4464

Lucci, Vincent & Millet, Agnès (1994). L’orthographe de tous les jours. Paris : Champion.

Marin, Jessy, Lavoie, Natalie & Sirois, Pauline (2015). Enseigner l’orthographe à partir d’écrits produits par les élèves : Influence d’une approche pédagogique sur les compétences orthographique et métagraphique. Lettrure, n° 3, p. 7897.

Annexe

Des exemples d’exercices lors des tests sommatifs

Évaluation du module 1 GrammOrtho : accorder les noms et les adjectifs dans le groupe nominal

  • Exercice 1 (4 ,75 points) 

Placez dans votre tableau les énoncés que je dicte. (0,25 point pour chaque mot placé dans la bonne case et 0,25 point pour chaque adjectif ou nom correctement orthographié du point de vue grammatical)

Note : les énoncés à dicter sont :

  1. Une décision annulée
  2. Ces ridicules nez rouges
  3. Plusieurs petites souris grises
  • Exercice 2 (5,25 points)

Dans les énoncés suivants :

  1. Ils viennent d’acheter des chaussures marron.
  2. Ce sont des personnes sensible à la question de la souffrance animal.
  3. Après des travaux laborieux, ce couple est très heureux de sa belle maison en briques aux murs rouge.

A. Soulignez les adjectifs. (0,25 pour chaque adjectif correctement repéré et – 0 ,25 pour chaque mot souligné qui n’est pas un adjectif)

B. Corrigez, si nécessaire, leur orthographe, en dessous de la phrase. (0,25 pour chaque adjectif correctement orthographié)

C. Que vous modifiez ou non l’orthographe d’un adjectif, précisez bien pour chaque adjectif repéré comment vous avez déterminé l’orthographe correcte en vous aidant des règles et des exemples du cahier de grammaire. À rédiger en dessous de chaque énoncé. (1,75 points pour l’ensemble des justifications)

Évaluation du module 4 : distinguer infinitifs et participes passés

  • Exercice 1 sur les finales en er/é

1. Exercice de placement sous dictée (4*0,5)

2. Compléter avec -é ou -er (4*0,5)

Ma voiture était en train de brûl------------.

Ce matin, j’étais en retard car je ne me suis pas réveill------------.

Elle essaie de se montr---------- forte même si elle souffre de ce qui s’est pass----------.

  • Exercice 2 : sur l’accord du participe passé (1 point par orthographe correcte)

Sa mère s’est remari---------- avec son meilleur ami.

C’est à ce moment-là que j’ai compris que la voiture était vol----------.

Nino était complètement défonc-----------.

Jimmy a achet----------- un nouveau pantalon.

Le bûcheron n’aurait pas sauv----------- le Petit Chaperon Rouge et sa grand-mère, si un loup ne les avait pas mang------------.

 

[1] La plateforme d’entrainement orthographique « Projet Voltaire » n’a pas donné de résultats satisfaisants pour le public spécifique dont nous parlons dans l’article, c’est-à-dire les étudiants en DUT issus d’un baccalauréat professionnel. Quand ils utilisent la plateforme, ces étudiants progressent en effet moins que ceux issus de baccalauréat général, voire de baccalauréat technologique. On peut faire l’hypothèse que c’est dû à la fois à un manque d’autonomie dans le travail, à leur besoin d’un rapport humain avec l’enseignante, et bien sûr à leur niveau de départ en langue, souvent assez faible. Il faut par ailleurs rappeler que Projet Voltaire propose une approche « traditionnelle » de l’enseignement de l’orthographe grammaticale, approche qui a souvent mis en échec les étudiants par le passé. Enfin, Projet Voltaire ne propose que des exercices de repérage et non de production écrite ; or nous cherchions à ce que notre dispositif intègre l’activité de production écrite et puisse mesurer les progrès réalisés dans ce domaine.

[2] École Nationale de l’Enseignement Professionnel Supérieur.

[3] On peut considérer que ce sont de bons bacheliers professionnels au sens où ils sont sélectionnés sur dossier par l’ÉNEPS et ont tous eu des mentions au baccalauréat.

[4] Initiative d’Excellence en Formations Innovantes.

[5] Laboratoire de Linguistique et Didactique des Langues Étrangères et Maternelles (EA 609).

[6] Désormais LP.

[7] Un court extrait d’un stage de grammaire en couleurs montre cette gestion de l’erreur de l’élève : https://www.youtube.com/watch?v=2_iuv6ShgHk

[8] Les classes grammaticales correspondant au groupe nominal se trouvent par exemple au centre à gauche : vert pour les noms, violet pour les adjectifs, jaune pour les déterminants. Le verbe se trouve au centre à droite.

[9] Une version « démo » de la plateforme est accessible à l’adresse suivante : https://www.uneeducationpourdemain.org/grammortho/

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La méthodologie du rapport comme mise en œuvre d’une démarche de résolution de problème

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